LES PEINTURES MURALES DE L’EGLISE

DE VILLERS-SAINT-SEPULCRE

 

Toutes les observations faites dans les monuments de divers styles et à toutes les époques ont conduit à la conclusion que les églises du Moyen Age étaient considérées terminées lorsque leurs murs avaient reçu une ornementation peinte.

Jusqu’à présent seuls quelques sondages, réalisés au cours de la dernière décennie du XXème siècle, avaient révélé sous l’enduit moderne des colonnes et des murs des deux travées du chœur, la présence de peintures murales. Le manque de moyens financiers fit que l’on en était resté à cette constatation. C’est à la fin du deuxième millénaire que furent découvertes les peintures murales de Villers-Saint-Sépulcre dans le transept méridional. Lors de travaux de réfection de la toiture de cette partie de l’édifice, un morceau d’enduit s’est alors détaché du mur est, dévoilant une partie des peintures qui allaient faire l’objet, à partir de l’année 2000, d’une campagne de mise en valeur des parois concernées. Les travaux dirigés par Madame Cailliau, architecte au patrimoine, furent confiés à Monsieur Oliveirez travaillant pour l’Atelier de Restauration et de Conservation d’œuvres d’Art et de Peintures Murales-Sculptures polychromes, l’ARCAMS de Le Perreux sur Marne. Un an plus tard, toutes les peintures étaient mises au jour et c’est alors que s’offrit à nos yeux, sur les parois est et sud du transept, un ensemble peint aux motifs variés, d’époques différentes.

Il s’agit bien de peintures murales et non de fresques très rares dans notre région. En effet la technique dite " a fresco ", décrite par les auteurs de l’Antiquité Vitruve ou Pline l’Ancien dans leur traité et manuel, est très particulière. A Villers-Saint-Sépulcre, les pigments de tonalité ocre brun, jaune ou rouge ont été déposés sur un enduit sec à base de chaux éteinte. Il est possible que la technique de la détrempe, intégrant un liant aqueux tel que œuf, caséine ou gomme végétale ait été utilisée comme cela était fréquent au Moyen Age. D’après une étude préliminaire réalisée par Monsieur Oliveirez, quatre couches stratigraphiques du décor mural ont été révélées :

Un décor primitif subsiste, dans un état de conservation très lacunaire, simulant un appareil de fausses coupes de pierre, à double filets brun-rouge sur fond clair blanchi à la chaux. Ce premier décor est visible sous la baie est, derrière la statuaire de la Mise au Tombeau. On le retrouve dans l’intrados de la baie centrale du mur méridional où la carnation est plus brune. Ce faux appareil encadre les quatre fleurs de lis rouge peintes sur le glacis dont le fond ocre est ponctué de roses rouges (Ill n°1).

N°1

Sur le mur méridional, à gauche de la baie est, il nous reste la tête d’un cheval (Ill n°2). Le naseau très développé au-dessus de la bouche entrouverte offre un contour assez anguleux que l’on peut retrouver dans certains manuscrits du début du XIVème siècle, représentant les chevaliers en grande tenue héraldique sur leur monture, s’affrontant au cours de tournois ou de combats. Il est regrettable que le corps de l’animal et aussi son cavalier aient disparu avec l’ouverture de la baie située à droite de la scène, car nous avons ainsi perdu de précieux indices indispensables pour l’interprétation de cette image.

N°2

Dans les églises où le décor était essentiellement religieux, il était cependant fréquent d’y voir représentées des scènes profanes de combats chevaleresques. Certains avaient trait aux batailles qui eurent lieu pendant les Croisades. Saint Georges, patron des Croisés, était considéré dans tout l’Occident et particulièrement en France, comme le saint militaire par excellence, le modèle des vertus chevaleresques. Quand les Croisés arrivèrent en Terre Sainte, ils l’adoptèrent bientôt en tant que patron et protecteur. L’histoire de saint Georges est racontée dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine. La peinture du cheval, malheureusement très abîmée ne peut, à elle, seule évoquer la scène de saint Georges terrassant le dragon. Mais sous la tête du cheval, un motif gris très lacunaire ressemble à l’extrémité d’un fer de lance au motif de fleur de lis. De plus, en-dessous, se tient une femme debout qui pourrait évoquer la fille du roi de Silcha que Georges délivra du dragon. Son costume relève de la mode en vogue au début du XVIème siècle, quand Anne de Bretagne privilégie les larges manches. Le corselet au décolleté carré descend en pointe sur le devant de la jupe ainsi qu’il en était à la fin du XVIème siècle. Seul archaïsme dans ce costume, les longs pendants de manches réalisés parfois en fourrure et qui apparurent au XIVème siècle. Il n’est pas improbable que la figure de la jeune femme ait été repeinte au XVIème siècle en même temps que celle des grands personnages dont nous parlerons plus loin.

Ainsi il ne serait pas surprenant, que dans l’église de Villers-Saint-Sépulcre, l’on ait commandé la scène de saint Georges terrassant le dragon, qui tout en incarnant l’esprit chevaleresque du Moyen Age, évoque précisément dans ce village, le souvenir du lieu saint où le Christ fut enterré. Le carreau que Lancelin avait rapporté du Proche Orient et les combats que les Croisés, très présents dans la région, ont mené en Terre Sainte en sont les témoins. Villers-Saint-Sépulcre, et sa relique que nombre de pèlerins vénéraient chaque jour, était probablement un foyer qui attisait les velléités aux combats des seigneurs alentours. La peinture de l’église est en quelques sorte un hommage à ces chevaliers, partis combattre les Infidèles, conformément à la morale chrétienne.

Le fond clair de cette scène est parsemé de fleurs à six pétales percées en leur centre. En héraldique c’est la rose qui n’est pas la fleur que nous connaissons mais son ancêtre sauvage, l’églantine. Ce sont les mêmes qui ponctuent le glacis de la fenêtre centrale où se trouvent les fleurs de lis et ces deux fonds sont probablement de la première époque que nous pouvons considérer du début du XIVème siècle.

Toujours sur la paroi méridionale, la baie située à droite du cheval comporte, dans l’intrados, un petit personnage nimbé, tourné de trois-quarts vers la chapelle (Ill n°3). Il tient une clé dans sa main droite et un objet ressemblant à un livre dans sa main gauche. Il semble avancer pieds nus vers l’intérieur de l’église. Le bas de son visage rond est légèrement ombré comme s’il portait une barbe rase. Ses cheveux bouclés sont retenus par un étroit bandeau frontal mais la calotte du crâne est rasée ainsi que l’étaient les moines tonsurés au Moyen Age. Ce personnage évoque saint Pierre, considéré par Jésus comme le fondement de la future Eglise. Son attribut, la clé du Royaume des Cieux, est représenté de façon monumentale ainsi que le langage iconographique du Moyen Age nous l’a transmis. Comme nous l’apprend Grégoire de Tours, l’art de la peinture dans nos églises avait pour origine l’enseignement des écrits bibliques afin que la majorité des fidèles, illettrés pour la plupart, apprennent sur les murs ce que les livres ne pouvaient leur révéler. L’iconographie de saint Pierre, l’apôtre successeur du Christ à la tête de l’Eglise primitive, est le plus souvent représenté en détenteur d’une ou deux clés qui ouvrent les porte du salut. Dans l’évangile de Matthieu (16-v.19), ce dernier rapporte les paroles que Jésus aurait dites à saint Pierre : " Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux… ".

N°3

L’auréole de saint Pierre, ornée de pétales en demi-cercles comme une fleur entourant son cœur, est une représentation commune dès le troisième quart du XIIème siècle. Dans l’abside de l’église d’Aillas en Gironde, les figures de saint Pierre et saint Paul, qui pourraient dater du début du XIVème siècle, offrent d’étroites relations avec celles de Villers-Saint-Sépulcre. Nous pourrions nous étonner d’un rapprochement aussi lointain entre l’Oise et l’Aquitaine s’il n’était besoin de rappeler l’importance des pèlerinages et notamment celui de saint Jacques de Compostelle, si célèbre au Moyen Age. Les artistes voyageaient beaucoup au fil des commandes et s’il est fort probable que les peintures de Villers-Saint-Sépulcre soient l’œuvre d’artistes locaux, il faut savoir que les dessins des décors peints circulaient au Moyen Age, tout autant que leurs auteurs, d’un atelier et d’une région à l’autre.

Un autre décor floral, bicolore cette fois, sillonne en partie le saint Pierre et semble avoir été peint en toile de fond, procédé qui se rencontre souvent dans le dernier tiers du XIVème siècle. Les arabesques en spirales des tiges sont plus visibles dans l’intrados de la fenêtre centrale où de petites fleurs rouges à cinq pétales voisinent avec des feuilles dont le limbe, évasé à la base, se termine en pointe. Leur couleur varie de l’ocre jaune à l’ocre rouge. Ces rinceaux et roses rouges sur un fond blanc sont fréquents dans les édifices religieux dotés de décor peint et sont généralement datés du XIVème siècle, mais nous en rencontrons dès la fin du XIIIème siècle et jusqu’au XVème siècle également.

D’après l’étude stratigraphique des enduits et le style des peintures, les grands personnages qui ornent les murs sud et est du transept sont plus tardifs. Il semble que l’église fut l’objet de grandes transformations au début du XVIème siècle. Plusieurs mains ont dû participer à la réalisation du décor qui comprend deux grands personnages et une scène de martyr.

Sur le mur oriental, à droite de la niche dans laquelle est placée la Mise au tombeau, un évêque, imposant, tient la crosse de sa main gauche et tend le bras opposé vers la droite (Ill n°4). Il est coiffé de la mitre au ton ocre jaune, sa tête est couronnée d’une auréole. Il est vêtu d’une chasuble jaune dont les plis sont marqués de rouge. Une lourde chape de couleur sombre bordée de fourrure bistre contraste avec l’intérieur doublé d’une fourrure blanche semée de mouchetures ocre. Le peintre s’est probablement inspiré de l’héraldique qui, aux métaux et aux couleurs, pouvait ajouter des " fourrures " représentant les peaux préparées pour orner ou doubler les vêtements. L’hermine était représentée par des mouchetures de sable sur fond d’argent que l’artiste a reproduit pour peindre le vêtement de luxe de l’évêque.

N°4

Une inscription en lettres gothiques précise l’identité du saint à gauche de la tête de l’évêque. Le début du mot est très mutilé mais certains latinistes y voient le nom de Martin ce qui paraît vraisemblable dans une église consacrée à ce saint.

L’artiste a fait preuve, dans l’image de l’évêque, d’un sens de la masse et du volume qu’il a traduit par un style monumental aux formes pleines. Le fond enduit de blanc est parsemé de fleurs rouges à huit pétales dessinées au pochoir. Il était fréquent, à l’époque, de placer les personnages isolés devant un fond arbitraire et décoratif inspiré des tentures qui ornaient les murs des monuments. Nous pourrions dater cette peinture du milieu du XVème siècle.

Sur le mur méridional, une scène représente le martyre d’un saint, à l’ouest de la fenêtre centrale (Ill n°5). Le supplicié, au centre, semble assis sur une chaise ou allongé sur un montant en bois de couleur ocre jaune. Ses deux jambes nues se tordent de douleur mais le reste de la figure, très abîmée par l’arrachement d’une chaudière qui se trouvait à cet endroit au XXème siècle, est illisible. La main droite de la victime est cependant visible et semble prisonnière du chevalet. Un instrument, une sorte de peigne, lacère la main du malheureux. De part et d’autre de ce personnage central, deux bourreaux participent activement au martyr. Ils sont armés d’une épée, bien visible sur celui de droite, attachée à la taille par une ceinture. Le visage de ce dernier ressemble à une caricature, le double menton ou l’absence de cou déforme cette partie du corps. Le tortionnaire de gauche a le bras droit levé pour frapper sa victime et lui donner le coup de grâce. La démesure du geste comme l’exagération des traits physiques du personnage précédent affectent ces deux figures et ne laissent aucun doute sur la fonction de ces personnages.

N°5

Ces bourreaux sont vêtus d’un pourpoint court maintenu à la taille par une ceinture. Les épaules sont recouvertes d’une cape circulaire à capuche dont les paysans étaient revêtus dès l’époque de Charles V. Les chausses sont maintenues, pour celui de droite, par de hautes bottes noires avec un revers évasé. L’autre bourreau porte des chaussures basses à l’extrémité carrée. Ces costumes se rencontreront du XIVème siècle jusqu’à la première moitié du XVIème siècle. Le tapis de fleurs rouges à cinq pétales en forme de cœur peint au pochoir, servant de fond à la scène du martyre, oriente également la datation de cette peinture dans le courant du XVIème siècle. Il faut à présent trouver un nom à ce martyre pour qui les murs n’ont révélé aucune trace d’inscription.

Parmi les saints protecteurs, plus proches de l’humanité et plus accessibles aux fidèles, les saints guérisseurs rassemblent à partir du XVème siècle le plus de suffrages. Parmi eux saint Blaise, invoqué pour les affections de la gorge, avait valeur universelle. Son histoire, racontée dans La Légende dorée peut se résumer ainsi :

Après avoir été élu évêque de Sebaste, en Cappadoce, Blaise s’était retiré dans une caverne où il vivait en ermite, à cause, dit la légende, des persécutions de Dioclétien (fin IIIème siècle.) Les animaux lui apportaient sa nourriture et le protégeaient. Conduit chez le gouverneur de la province pour renier sa religion, il avait guéri, sur son chemin, un enfant qui avait avalé de travers une arête de poisson et était en passe de mourir étouffé. De même, il sauva de la misère une femme qui avait perdu son seul porc emporté par un loup. Blaise lui rendit l’animal. Arrivé à la ville, il fut jeté en prison et refusant de sacrifier aux dieux romains, il fut suspendu à un arbre et sa chair fut déchirée avec des peignes en fer. Comme il refusait toujours d’honorer les dieux du gouverneur, celui-ci le jeta dans un étang d’où il ressortit sain et sauf. Il fut alors décapité.

Saint Blaise était particulièrement honoré dans la région. A Tillard (qui dépendait comme Villers-Saint-Sépulcre de Ponchon), une chapelle dédiée à saint Blaise avait été édifiée au XVème siècle par Jean de Saint Just.

Un troisième personnage, très hiératique, grandiose, a été peint entre les deux baies du mur méridional (Ill n°6). Il est vêtu d’un long manteau doublé d’une pèlerine qui recouvre les épaules. Le col fourré enserre son cou et sa nuque. Les tonalités ocre brun sont très variées. Les cheveux longs, plus clairs dépassent d’une coiffe ronde, ocre jaune, bordée d’une bande blanche. Son visage, d’une très belle facture, est pourvu d’une longue barbe raide qui affine sa physionomie. Ici un souci plus intense de la ligne s’affirme, en opposition au portrait de l’évêque, dont les contours plus ronds accentuent davantage les volumes. Les yeux en amandes reflètent un regard profond. Sa bouche, dont la lèvre supérieure est garnie d’une moustache, s’entrouvre probablement pour laisser passer les paroles d’une prophétie. Ce personnage tient un livre dans sa main droite. Sa tête est nimbée d’une grande auréole à double trait dont le cercle extérieur est cranté. L’intérieur tréflé, comporte des lignes hachurées qui font penser au nimbe crucifère. L’élégance de la figure et l’attitude majestueuse du personnage ainsi que le soin apporté à la réalisation de cette peinture, donne à penser qu’il s’agit de la représentation du Christ. Elle date probablement du début du XVIème et fut réalisé par un peintre de talent.

N°6

Dans l’intrados de la baie orientale, derrière la Mise au Tombeau, deux grands oiseaux échassiers, sans doute des grues ou des paons, s’affrontent (Ill n°7). Ils sont entourés de grands rinceaux ocre rouge s’échappant d’une guirlande festonnée qui décore l’arc de la baie. Cette frise est soulignée de deux traits rouges.

N°7

Nous retrouvons ces mêmes rinceaux et le même feston, sur les voûtains du chœur et les fenêtres du bas-côté nord de l’église de Cambronne les Clermont qui offre de grandes similitudes, du point de vue de son décor peint au XVème siècle, avec l’église de Villers-Saint-Sépulcre.

Le dernier décor encore visible avant les travaux, était celui d’un faux appareil rouge sur fond ocre jaune, recouvert partiellement d’un badigeon blanchâtre au XXème siècle.

En conclusion, compte tenu de tous les éléments de datation et avec les réserves qu’impose un art mural souvent archaïsant, nous proposons la liste approximativement chronologique des figures et fragments des peintures de l’église de Villers-Saint-Sépulcre, comme suit :

D’autres peintures décorent l’arc sud de la croisée du transept, un décor de palmettes orne les murs sud et nord des deux travées de chœur, au dessus des fenêtres et présentent des similitudes avec les peintures de l’église de Ponchon. Ces frises sont présumées être antérieures à tout ce qui a été décrit plus haut et pourraient dater de la fin du XIIIème siècle ou du début du XIVème siècle.

De nombreuses églises du Beauvaisis nous réservent des surprises sous leur décor moderne. Nombre de peintures murales ont été mises au jour à la fin du XXème siècle, confirmant ainsi que même au nord de la France les édifices religieux recevaient un décor peint, une fois le gros œuvre terminé. Seulement le climat plus ou moins rigoureux et humide de notre région a entraîné des dégradations irréparables. Par contre la mode des murs blanchis, au décor sobre de faux appareils, à partir de la fin du XVIIIème siècle, a pu parfois contribuer à la préservation de ces peintures qui auraient été détruites, soit à la Révolution, soit par le mépris dans lequel on tenait les œuvres anciennes au XIXème siècle, qui préférait un badigeon uniforme au décor roman ou gothique de nos églises.

Christine Colard

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